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Rhône-Alpes

Azote sur blé et orge : le premier apport peut attendre

Selon la réglementation (Programme d'Actions Régional n°7 / directive nitrates), les apports d’azote minéral sont autorisés à partir du 1er février dans notre région. Cependant, techniquement parlant, il n’est pas urgent de réaliser le premier apport ; mieux vaut raisonner la fertilisation selon la situation de ses parcelles.

un homme observe des plantes d'orge d'hiver, au stade tallage, en janvier 2025 en Rhône-Alpes

Quand faut-il déclencher le 1er apport ?

Tout d’abord, s’assurer que la culture a atteint le stade début tallage. C’est le cas de la grande majorité des céréales mais les derniers semis, souvent réalisés en novembre après des maïs récoltés tardivement, n’ont pas encore commencé à taller. Le début du tallage est initié par un cumul de températures depuis la levée : en aucun cas, un apport d’azote ne permet de « rattraper le retard » de cultures semées tardivement. Avant le tallage, l’absorption par la céréale est extrêmement faible : si de l’azote est apporté, la plante ne pourra en absorber qu’une très petite partie et le reste risque d’être lixivié en cas de fortes pluies, surtout en sol filtrant.

Pour les parcelles tallées, il n’est pas forcément judicieux d’effectuer l’apport dès la date réglementaire atteinte (1er février), surtout si les températures restent fraîches et peu « poussantes ». Attendre une remontée des températures permettant la reprise de végétation pour effectuer le premier apport. La date du 15-20 février peut constituer un bon repère dans la région. Dans tous les cas, positionner l’apport avant des pluies annoncées (viser 15 mm sous 15 jours) pour permettre une bonne valorisation.

→ Si des parcelles ont été semées à plusieurs dates, attendre la reprise de végétation pour les premiers semis devrait permettre aux derniers semis d’atteindre le tallage, et ainsi de grouper la date du premier apport.

Quel est l’enjeu du premier apport ?

L’apport « tallage » a pour but de permettre à la plante d’atteindre le stade épi 1 cm sans subir de carence azotée. Les besoins de la plante entre le semis et le stade épi 1 cm sont faibles et estimés à maximum 60 kg N/ha. S’il est nécessaire, l’apport réalisé au tallage doit être limité à 40 kg N/ha maximum, le reste étant fourni par le sol.

Plusieurs situations nécessitent un apport pour couvrir ces besoins :

  • Les situations de mauvaises implantations, liées par exemple à un excès d’eau durant l’automne/hiver, qui ont généralement un enracinement peu développé et superficiel. Le système racinaire de ces cultures ne leur permet pas d’accéder à tout l’azote présent dans le profil de sol. Un apport leur est nécessaire pour atteindre le stade épi 1 cm sans carence, développer la biomasse aérienne mais surtout racinaire qui permettra à la culture d’accéder au stock d’azote du sol durant la montaison. Ces situations sont minoritaires cette année en Rhône-Alpes.
  • Les parcelles où le reliquat en sortie d’hiver (RSH) mesuré est inférieur à 60 uN sur trois horizons. Il s’agit souvent de parcelles de sols superficiels, filtrants, à faible taux de matière organique, sans historique d’apport d’effluents organiques.

Dans ces situations, un apport est nécessaire, à réaliser après le 1er février, une fois le tallage atteint et la reprise de végétation amorcée. Ne pas dépasser 40 kg N/ha pour cet apport.

A l’inverse, les cultures bien implantées avec un bon tallage en sol profond peuvent fréquemment se passer d’un apport précoce. Leur système racinaire est à même d’atteindre l’azote présent dans le sol. Si le RSH est supérieur à 60 uN sur trois horizons, une impasse au tallage est à privilégier, et permettra de reporter la dose d’azote pour la montaison et la fin de cycle, et ainsi de mieux la valoriser en rendement et en protéines.

Apporter de l’azote en sortie d’hiver pour faire redémarrer et taller le blé/ l’orge ?

La reprise de végétation en sortie d’hiver est déterminée par les températures (et la durée du jour). Le tallage quant à lui est régulé par plusieurs facteurs :

  • le cumul de températures (base 0°C) : 1 talle est émise tous les 100-120°C j (le cumul de températures nécessaire pour émettre une talle est un peu plus important en semis précoces qu’en semis tardifs, mais stable pour une situation donnée).
  • la densité de plantes : une forte densité (de culture ou d’adventices) stoppe l’émission de talles (effet d’un signal lumineux qui permet la perception de la densité de végétation) et conduit à un nombre de talles par plante réduit, tandis qu’un faible nombre de plantes permet à un nombre de talles plus important de se développer.
  • l’azote : une carence en azote peut empêcher l’émission, et surtout le développement de nouvelles talles ; en revanche, un apport en azote supérieur aux besoins de la plante n’accélère pas l’émission de talles.

En résumé, seule l’atteinte d’un certain cumul de températures permet l’émission d’une talle supplémentaire. La densité de plantes et une éventuelle carence azotée peuvent inhiber le tallage, mais aucune pratique ou conduite ne peut l’accélérer.

Les parcelles ayant reçu un apport d’azote conséquent et/ou précoce peuvent sembler plus vertes ou plus développées, qu’en est-il ?

Une part conséquente des talles émises régresse de façon tout à fait normale pendant la montaison, en particulier les talles secondaires. Cette régression se fait sous l’effet de la concurrence pour la lumière, l’eau et l’azote, la plante ne pouvant alimenter correctement un nombre d’épis trop important. Le nombre d’épis n’est d’ailleurs pas corrélé au rendement.

L’azote apporté au tallage, s’il n’augmente pas le nombre de talles, peut augmenter la biomasse de chacune d’entre elles et sa teneur en chlorophylle. La parcelle paraît ainsi plus « développée » et plus verte, donnant l’impression qu’elle « redémarre » mieux en sortie d’hiver. En réalité son stade est identique à celui d’une parcelle n’ayant pas reçu d’apport et le stade épi 1 cm ne sera pas non plus atteint plus tôt.

Un apport d’azote trop important au tallage peut conduire à une accumulation de biomasse conséquente dans les talles secondaires avec plusieurs conséquences :

  • une forte concurrence entre talles pour la lumière, conduisant à un étiolement et augmentant le risque de verse physiologique ;
  • l’augmentation du risque de développement de maladies foliaires par le maintien de conditions humides dans le couvert : oïdium notamment ;
  • une consommation d’eau plus importante (par la transpiration de ces talles secondaires) entamant les réserves hydriques du sol et pouvant amplifier le stress hydrique en cas de conditions sèches durant la montaison.

A titre d’illustration, dans les essais « physiologie blé » menés en Rhône-Alpes depuis plus de 20 ans, en moyenne un tiers des talles régresse entre le stade épi 1 cm et la floraison. Pour 2,7 à 3,8 talles par plante en moyenne à épi 1 cm, 1,8 à 2,5 épis sont dénombrés en fin de cycle.

Tableau 1 : Moyenne des composantes mesurées dans les essais « physiologie blé » menés en Rhône-Alpes depuis 2000 par ARVALIS, en graviers profonds irrigués de la plaine de Lyon et en limons profonds du Val de Saône
Tableau 1 : Moyenne des composantes mesurées dans les essais « physiologie blé » menés en Rhône-Alpes depuis 2000 par ARVALIS, en graviers profonds irrigués de la plaine de Lyon et en limons profonds du Val de Saône

Ces exemples illustrent qu’il n’est pas nécessaire que le nombre de talles (ni le nombre d’épis) soit particulièrement élevé pour atteindre un rendement élevé.

Qu’en est-il du soufre ?

Le soufre est un élément sensible à la lixiviation. Dans les situations les plus à risque (sols superficiels, filtrants, pauvres en matière organique et sans apports réguliers de produits organiques), un apport de 30 à 50 kg de SO3/ha est recommandé selon le potentiel de rendement, se référer à la grille ci-dessous pour piloter ses apports :

Tableau 2 : Grille de préconisations en apport de soufre sur blé tendre ARVALIS
Tableau 2 : Grille de préconisations en apport de soufre sur blé tendre ARVALIS

Les cumuls de pluies depuis le 1er octobre sont supérieurs à 250 mm pour la plupart des secteurs, ce qui se traduit par un risque élevé de lessivage du soufre dans les sols superficiels filtrants, en particulier en plaine de Lyon et plaine de l’Ain. Seules la plaine de Valence, la plaine de Montélimar et la plaine du Forez obtiennent pour l’instant de faibles cumuls. Les autres situations semblent se diriger vers une pluviométrie « normale », entre 300 et 400 mm. Le risque sera à réévaluer en fonction de la pluviométrie du mois de février.

Tableau 3 : Cumul de pluies du 01/10/24 au 25/01/25 par station météo
Tableau 3 : Cumul de pluies du 01/10/24 au 25/01/25 par station météo
Source des données : Météo France

Le soufre doit être apporté au plus tard au stade épi 1 cm, de préférence au cours du tallage. La forme n’a pas d’importance, sulfate, thiosulfate et soufre micronisé ayant une efficacité équivalente. Les engrais contenant à la fois de l’azote et du soufre (ammonitrates soufrés par exemple) sont couramment employés. Le choix d’apporter le soufre au moment du premier ou second apport peut être réalisé selon la dose à apporter, l’enjeu étant de ne pas apporter une dose d’azote trop importante au premier épandage.

Exemples :

  • Graviers irrigués de la plaine de Lyon à bon potentiel (90 q/ha) sans historique d’apport d’effluents : la dose de soufre à apporter est de 60 unités. L’engrais soufré utilisé contient 24 unités d’azote et 18 de soufre pour 100 kg. Dans ce cas, on peut apporter 40 uN au tallage sous forme d’ammonitrate, puis apporter le soufre au second apport à épi 1 cm avec l’azote soufré : 330 kg contenant 80 unités d’azote et 60 unités de soufre. Un apport dès le tallage avec cette forme d’engrais conduirait à une dose d’azote trop importante qui serait mal valorisée. Une autre option, un peu plus onéreuse, consiste à apporter de l’azote soufré à la fois au premier et au second apport en ajustant la dose au besoin en azote de la culture. L’apport de soufre sera légèrement excédentaire mais cette pratique sécurise la couverture des besoins en soufre pour le début de montaison en cas de période sèche autour du stade épi 1 cm, retardant la valorisation du second apport. Dans tous les cas, il n’est pas utile d’apporter de l’azote soufré au troisième apport : la culture absorbe le soufre durant la montaison, ce troisième apport est donc trop tardif pour couvrir les besoins ou corriger une éventuelle carence. Le soufre n’a pas non plus d’incidence sur la teneur en protéines du blé.
  • Sols de limons avec un niveau de pluviométrie « normale » : 30 à 40 unités de soufre sont nécessaires d’après la grille. Si ce même engrais dosant à 24 % d’azote et 18 % de soufre est employé, le soufre peut être apporté au premier apport (220 kg apportant environ 50 unités d’azote pour 40 unités de soufre).
  • La kiésérite, le sulfate de potasse ou le sulfate de magnésie sont également des formes envisageables pour apporter du soufre à la culture, mais ils nécessitent de dissocier la fertilisation soufrée et la fertilisation azotée en deux passages.
A retenir :

• Pour les parcelles sales, privilégier le désherbage des graminées dès que les conditions le permettent (absence de gelées, faibles amplitudes thermiques, absence de vent) : les adventices seront moins difficiles à détruire jeunes et non alimentées par un apport d’engrais azoté. La correction d’une éventuelle carence en azote de la culture pourra attendre que la concurrence soit levée.

• Privilégier des conditions permettant de bien valoriser l’apport : 15 mm de pluie annoncés sous 15 jours au minimum. Cependant, à l’inverse, ne pas intervenir si de fortes précipitations sont annoncées (> 50 mm) : les éléments nutritifs pourraient ne pas être valorisés voire être lixiviés.

• Pour les parcelles implantées en mauvaises conditions ou ayant souffert d’excès d’eau : prévoir un apport de 40 uN maximum à la reprise de végétation (pour ces situations, un « biberonnage » est pertinent pour accompagner les besoins faibles mais croissants de la culture).

• Pour les parcelles implantées tard et n’ayant pas atteint le début tallage : attendre le début du tallage et apporter 40 uN maximum.

• Pour les parcelles implantées en bonnes conditions avec un RSH > 60 uN, une impasse d’apport en sortie d’hiver permettra de reporter la dose sur la montaison et la fin de cycle :
- Dans tous les cas, l’apport au stade épi 1 cm est indispensable car les besoins en azote de la culture deviennent importants dès le début de la montaison : en cas de températures élevées en février/mars, il peut être atteint tôt, ne pas le rater. Si une impasse a été réalisée en sortie d’hiver, il peut être judicieux de fractionner la dose prévue à épi 1 cm en deux : la moitié à partir de début mars, dès qu’une pluie est annoncée, et l’autre moitié environ 15-21 jours après le premier passage (en visant également une pluie).

• Prévoir un apport de soufre pour les situations qui le nécessitent en se référant à la grille de préconisations et en adaptant selon le dosage azote/soufre de l’engrais utilisé :
- Si la dose de soufre à apporter est importante (50 à 60 unités) et selon le type d’engrais choisi, l’apport de soufre peut être décalé à épi 1 cm pour ne pas engendrer une dose d’azote trop importante au tallage. Dans ce cas, l’apport d’azote au tallage peut se faire sous forme d’ammonitrate. Il est également possible d’apporter de l’azote soufré au premier et au second apport (raisonner alors selon la dose d’azote).
- Pour les doses de soufre moins importantes (30-40 unités) et si la dose d’azote associée est proche de 40 unités, privilégier un apport azote + soufre au tallage.
- Aucun écart d’efficacité n’a été mis en évidence entre les différentes formes de soufre.

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