Résultats d’essais

Protection intégrée des céréales - Réduction des phytos : une transition engagée mais de longue haleine

Alors qu’il est question de « zéro phyto » ou de « plan de sortie des pesticides », ARVALIS apporte quelques éléments de réflexions pour la filière céréalière française.

Réduction des phytos : enjeux, état des lieux et trajectoire

Les Etats Généraux de l’Alimentation et le récent débat sur le glyphosate inscrivent la France dans une perspective de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Face à cette demande politique, 29 organisations du monde agricole, dont l’ACTA qui fédère les instituts techniques, ont proposé un contrat de solutions. L’objectif : accompagner cette évolution en prenant en compte les réalités scientifiques et la faisabilité technique des solutions envisagées.

Dans ce cadre, ARVALIS - Institut du végétal propose un éclairage des enjeux, de l’état des lieux et d’une trajectoire d’évolution vers une protection intégrée des cultures.

Les céréales occupent une place majeure dans les paysages et l’économie

Blé tendre, maïs, blé dur, orge d’hiver et de printemps, seigle, triticale, riz… Toutes ces céréales sont présentes sur plus de la moitié des exploitations françaises. Elles représentent, avec 9,5 millions d’hectares, 33 % de la surface agricole utile. Elles produisent, en 2017, 68 millions de tonnes de graines qui sont utilisées à 90 % pour l’alimentation humaine et animale.

Leur exportation vers des pays déficitaires en céréales (essentiellement du pourtour méditerranéen) rapporte à l’économie française 4,4 milliards d’euros (campagne 2016-2017).

La France n’est pas le plus gros consommateur de pesticides en Europe

Si l’on raisonne en quantité totale, la France est le 2e consommateur de produits phytosanitaires en Europe, après l’Espagne. Mais, ramené à l’unité de surface cultivée, l’Hexagone est au 9e rang, c’est-à-dire au niveau de la moyenne européenne (2,5 kg/ha). Certains pays dans le monde comme le Japon (12 kg/ha), les Pays-Bas (5,8 kg/ha) ou la Belgique (4,5 kg/ha) en font une utilisation beaucoup plus intensive (figure 1).

Figure 1 : Quantités de produits phytosanitaires utilisées par hectare cultivé pour différents pays

Avec un indice de fréquence de traitement (IFT) compris entre 1,9 pour le maïs grain et 4,0 pour le blé tendre (hors TS, source Agreste – enquêtes pratiques culturales 2014), les céréales restent parmi les cultures les plus sobres en produits phytopharmaceutiques.

Pourquoi protéger les cultures au champ et les graines au stockage ?

Sur les principales céréales (blés, orge et maïs), on dénombre près de 80 bioagresseurs, que ce soit des maladies ou des ravageurs. Ils sont à l’origine, chaque année, de pertes de rendement ou d’une dégradation de la qualité sanitaire.

Par exemple, sans traitement contre les maladies foliaires, qui ne représentent qu’une partie des parasites annuels, le rendement chute en moyenne de 17,5 q/ha en blé et de 15 q/ha en orge. Cela représente, pour ces deux cultures, une perte de 25 % de la production, soit l’équivalent d’un « trou alimentaire » pour nourrir 37 millions de personnes pendant un an. Trou qu’il faudrait donc combler. En termes de valeur, cela représenterait un manque à gagner de plus d’un milliard d’euros par an.

La présence des maladies dépend de plusieurs paramètres comme la variété, les techniques de culture et surtout des conditions climatiques. La perte de production peut varier selon les années du simple au triple (figure 2).
Figure 2 : Nuisibilité des maladies foliaires sur blé d’hiver et orge d’hiver selon les années

La liste des bioagresseurs ne se limite pas aux maladies foliaires. Il faut y ajouter les insectes aériens, les ravageurs du sol, les virus, les insectes au stockage, etc.

Tableau 1 : Nuisibilité moyenne des principaux bioagresseurs du blé

Les mauvaises herbes ou adventices, sont aussi des compétiteurs sérieux des cultures pour l’interception de la lumière, de l’eau et des éléments minéraux. Leur nuisibilité est très variable selon l’histoire des parcelles, allant de 0 % à plus de 60 % du rendement (figure 3).

Figure 3 : Ecart de rendement entre parcelles non traitées et parcelles traitées herbicides sur 63 essais en blé tendre (source : Cordeau et al, 2016)

La moyenne de l’écart est établie par un point noir, la longueur de la barre donne l’intervalle de confiance à 95 %. Significatif en bleu, non significatif en rouge (seuil de 5 %).

Au-delà des aspects « production », la protection raisonnée des cultures permet de maintenir la qualité sanitaire des récoltes :

  • éviter les graines indésirables ou toxiques (Datura),
  • limiter la production de toxines liées à la présence de champignons (fusarium, ergot),
  • maintenir les bords de champ propres et éviter la prolifération de plantes à haut pouvoir allergène (Ambroisie).

Ces trois points relèvent de la santé publique. Protéger les cultures, c’est donc aussi protéger la santé du consommateur et du citoyen.

Qu’entend-on par « zéro phyto » ?

Face à la pression croissante des bioagresseurs, la protection des cultures est indispensable mais les moyens pour y parvenir sont divers.

En production biologique, la rotation des cultures et les techniques culturales sont privilégiées pour réduire l’enherbement, les maladies fongiques et certains ravageurs. Et les rendements sont réduits de moitié environ. Mais même dans ce mode de production, l’usage de certains produits phytopharmaceutiques reste indispensable, comme le cuivre, pour lutter contre le mildiou ou bien le soufre, les pyréthrines ou le phosphate ferrique par exemple.

Partant de ce constat, il semble illusoire de penser qu’une protection sans aucun produit phytopharmaceutique soit possible à court ou moyen termes, à moins d’accepter une forte réduction de la production et une dégradation de sa qualité.

Si l’on entend beaucoup parler de « zéro phyto » ou de « plan de sortie des pesticides », il faudrait définir de quoi on parle : les produits utilisés en agriculture biologique - les extraits naturels, les produits de biocontrôle, sont - juridiquement, des produits phytopharmaceutiques. Rappelons aussi que les pesticides « naturels » ne sont pas nécessairement sans danger - et que les produits de synthèse ne sont pas systématiquement dangereux. L’INRA vient de publier des travaux sur la difficulté de limiter l’usage du cuivre, principal pesticide utilisé en agriculture biologique, produit qui n’est pas anodin.

L’avenir est à la protection intégrée

Pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, la solution passe par la combinaison de différentes techniques, dont l’emploi en dernier recours de pesticides. Différents leviers combinés entre eux peuvent offrir des perspectives de lutte d’une certaine efficacité :

  • D’abord les variétés résistantes aux maladies, virus et/ou insectes ou à croissance compétitive par rapport au développement des adventices. C’est sans doute la pierre angulaire de la protection intégrée.
  • L’allongement des rotations de cultures. Il permet de rompre le cycle de certains ravageurs, maladies et adventices.
  • Les auxiliaires de cultures. Leur présence peut être favorisée par l’agencement des éléments dans l’environnement de la parcelle et par les techniques de culture.
  • Les pratiques culturales comme des dates de semis retardées, le travail du sol en interculture ou l’utilisation de couverts végétaux… Elles diminuent la pression de certains bioagresseurs (maladies fongiques telluriques, ravageurs du sol, viroses,…).
  • Les outils d’aide à la décision. Ils donnent la possibilité de prévoir le risque lié aux maladies et aux ravageurs. Leur usage, associé à des variétés peu sensibles, permet d’éviter des traitements systématiques et donc d’économiser 15 à 30 % des traitements fongicides selon les cultures.
  • La lutte mécanique. Elle est possible pour détruire les adventices dans certaines cultures : binage ou hersage, couplé ou non avec le désherbage chimique sur le rang.

Figure 4 : Les différents leviers à combiner pour une protection intégrée des cultures

« Zéro phyto » ou l’insoutenable contradiction sociétale

Depuis 1999, les agriculteurs ont réduit de près de 50 %, en volume, L’utilisation des produits phytosanitaires. Les substances les plus dangereuses ont été interdites et les procédures d’homologation exigent un haut niveau d’innocuité sur la santé et l’environnement. Malgré tout, l’opinion publique souhaite une agriculture exempte de produits phytosanitaires. Mais est-ce possible ?

A court terme, assurément non ! L’impact serait majeur sur la qualité des produits, le volume de production et la survie économique des exploitations ainsi que des entreprises de transformation. Les bénéfices seraient très nettement inférieurs aux risques sanitaires, alimentaires, sociaux et économiques.

Contrairement à une idée véhiculée, il faut reconnaître que les solutions alternatives en grandes cultures ne sont pas suffisamment développées pour remplacer les techniques actuelles. A ce jour, au regard des 80 bioagresseurs identifiés en céréales, seules 9 substances de biocontrôle sont autorisées. Elles sont donc loin de couvrir tous les risques, et souvent avec un coût supérieur aux produits classiques pour une efficacité plus variable. La recherche doit donc se poursuivre et s’amplifier !

Une réduction brutale de l’usage des phytosanitaires augmenterait le coût de production, qui ne peut être compensé que par une augmentation des prix à la consommation, comme cela se produit aujourd’hui en agriculture biologique. Les consommateurs accepteraient-ils de payer plus cher l’alimentation issue du mode de production qu’ils souhaitent ?

Il faudra du temps pour réaliser l’objectif d’une réduction substantielle des pesticides et encore plus pour concevoir le « zéro phyto ».

L’obtention de variétés tolérantes aux bio-agresseurs est la pierre angulaire de ce nouveau mode de production. Même si la sélection de variétés toujours plus résistantes est une réalité, il faudrait des décennies avec les méthodes actuelles pour arriver à des variétés exemptes de maladies fongiques. Les nouvelles technologies de sélection utilisant des ciseaux moléculaires pourraient permettre d’accélérer la sélection de variétés multirésistantes. La société acceptera-t-elle l’utilisation de ces outils ?

Donner du temps à l’innovation

La conception d’un autre mode de protection des cultures est en marche. Certaines innovations en matière de protection des plantes, encore en phase de recherche, pourraient permettre dans quelques années de réduire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Citons à titre d’exemples :

  • Les stimulateurs de défense des plantes. Ils renforcent le processus d’autodéfense des plantes contre les bioagresseurs. Les produits autorisés et reconnus sur la liste biocontrôle en grandes cultures sont rares (un seul à l’efficacité variable) mais des travaux prometteurs existent dans la lutte contre le mildiou de la pomme de terre.
  • L’écologie chimique. L’étude des composés volatils émis par les cultures laisse entrevoir de nouvelles techniques de lutte contre certains ravageurs comme la bruche de la féverole, la pyrale du maïs ou encore les taupins. Mais pour l’instant, il s’agit de recherches dont les applications ne sont pas encore opérationnelles.
  • L’évolution des équipements agricoles et la robotique. Elles offrent de nouvelles perspectives pour lutter contre les adventices. Mais ces innovations se heurtent encore à des contraintes de base comme l’efficacité, le débit de chantier, la rentabilité.

Concrètement, le chemin vers la protection intégrée des cultures devrait connaître trois grandes étapes :

  • Court terme : optimiser la protection des cultures en valorisant les résistances génétiques et les OAD disponibles.
  • Moyen terme : développer des innovations de rupture en cours de R&D, porteuses de solutions pour lutter contre les bioagresseurs avec moins de phytos.
  • Long terme : lever de nombreux freins techniques, économiques et sociétaux pour atteindre l’objectif « zéro phyto ».

Le progrès génétique reste la pierre angulaire de ce scénario. Il faudra cependant, en tout état de cause, maintenir une phytopharmacopée minimale pour faire face aux crises, aux besoins de protection pour préserver la qualité sanitaire des aliments (ex. mycotoxines), aux développements parasitaires de type épidémique, qui peuvent en outre se développer plus rapidement suite au changement climatique. Le territoire français est déjà confronté à plusieurs bioagresseurs préoccupants : pyrale du buis, charançon du palmier, ambroisie, renouée du Japon, chrysomèle du maïs, nématodes du genre Méloidogyne, populations de taupins en évolution…

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