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Bretagne

Bilan de campagne 2023 : des rendements en blé corrects avec une qualité en berne

La campagne 2022/2023 de blé tendre est à nouveau atypique sur plusieurs points. Voici quelques éléments d’explications concernant la construction du rendement et les raisons de la contreperformance de variétés témoins (Chevignon et KWS Extase) dans nos essais.

blé tendre

Un automne et un hiver doux avec une alternance de périodes sèches et humides

Durant l’automne et l’hiver, les pluies ont été contrastées dans la région avec des cumuls qui varient du simple au double selon les secteurs. À noter une période sèche inhabituelle sur les mois de février. Les températures ont été excédentaires, entre +4 et +8 % par rapport à la médiane pluriannuelle. Cependant, ce début de campagne a été marqué par des alternances de périodes « froides et sèches » puis « chaudes et humides » (figure 2).

Carte 1 : Somme de pluie du 25 octobre 2022 au 1er mars 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)
Somme de pluie du 25 octobre au 01 mars 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)

Carte 2 : Somme des températures du 25 octobre 2022 au 1er mars 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)
Somme des températures du 25 octobre au 01 mars 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)

Les excédents thermiques du mois d’octobre ont contribué à des levées extrêmement rapides, empêchant parfois l’application d’herbicide en prélevée (notamment les semis précoces non recommandés avant le 25 octobre) et un développement correct de la végétation. Les céréales en place ont dû ensuite faire face à quelques périodes de gel courant novembre sans inquiétudes particulières. Le retour de pluies fortement excédentaires en décembre ont conduit, dans certains secteurs, à de l’hydromorphie qui a perduré jusque mi-janvier. S’ensuit une longue période de sec sur le mois de février empêchant la valorisation des premiers apports d’azote, mais permettant une bonne portance des sols pour les passages d’engins.

Côté ravageurs, l’automne se caractérise par une pression forte des pucerons virulifères pour les semis précoces ayant levé sur mi-octobre/fin octobre. Les excédents thermiques records durant cette période ont été favorables à l’activité des pucerons. Les conditions humides automnales n’ont pas été propices aux d’attaques de limaces.

Figure 1 :  Evolution des températures du 1er octobre au 1er novembre 2022 – station météo de Ploërmel (56)
Figure 1 :  Evolution des températures du 1er octobre au 1er novembre 2022 – station météo de Ploërmel (56)

Source : Météo France - ARVALIS 

Figure 2 : Evolution des températures et des pluies entre le 1er octobre 2022 et le 25 février 2023 – station météo de Ploërmel (56)
Figure 2 : Evolution des températures et des pluies entre le 1er octobre 2022 et le 25 février 2023 – station météo de Ploërmel (56)

Source : Météo France - ARVALIS

Sortie d’hiver : des biomasses correctes mais non exubérantes

Malgré un excédent thermique depuis les semis, les biomasses en sortie d’hiver sont correctes, mais non exubérantes. Les dates de semis en Bretagne s’étalent du 25 octobre jusque fin novembre-début décembre (dans le Finistère). Cela a permis de limiter le développement de talles excédentaires, contrairement à d’autres régions, où les semis précoces ont engendré des biomasses exubérantes, provoquant de forts risques de verse. Finalement, l’arrivée du stade épi 1 cm est proche d’une année médiane.

Le risque de verse cette année est plus élevé du fait des doses d’azote importantes appliquées en début de cycle des céréales.  

Côté maladies, la rouille jaune est discrète en sortie d’hiver. Les conditions climatiques sont favorables au développement du piétin verse et à la formation de l’inoculum de septoriose.

Les désherbages d’automne ont été efficaces. Quelques marquages de phytotoxicité sont signalés sur les applications du mois de mars, mais sans gravité. La gestion des ray-grass est toujours difficile dans de nombreuses parcelles. 

Montaison : un climat humide et doux favorable à la montée à épis

La montaison a été très arrosée, avec des cumuls de pluie parfois deux fois plus importants que la médiane, en particulier en Ille-et-Vilaine, Morbihan et sud Finistère. Ainsi, la période de montaison est atypique avec son climat humide et doux.

Carte 3 : Somme de pluie du 1er mars au 1er mai 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)
Somme de pluie du 1ER mars au 1er mai 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)

Carte 4 : Somme des températures du 1er mars au 1er mai 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)
Somme des températures du 1ER mars au 1er mai 2023 vs médiane 2001-2022 (en %)

Une densité d’épis moyenne couplé à de très bonnes fertilités d’épi

Les pluies fréquentes sur le printemps ont permis de très bonnes valorisations d’azote de tous les apports courant montaison dont ceux autour d’épi 1 cm (tableau 1).

Tableau 1 : Valorisation des apports d’azote en Bretagne
Tableau 1 : Valorisation des apports d’azote en Bretagne

Vert foncé : plus de 15 mm reçus dans 15 jours suivants l’apport ; orange : moins de 10 mm reçus dans les 15 jours suivant l’apport

Les pluies régulières et la très bonne valorisation des apports d’azote limitent la régression d’épis. Les mesures sur le site de Ploërmel mettent en évidence une régression d’épis quasi nulle entre le nombre de talles de plus de 3 feuilles à épi 1 cm et le nombre d’épis/m². Néanmoins, localement, les excès d’eau durant la montaison ont pu amener des problèmes d’hydromorphie au mois de mars-avril, pénalisant la montée à épi.

Figure 3 : Densité de tiges à plus de 3 feuilles au stade épi 1 cm en fonction de la densité d’épis/m² sur blé tendre - Essais ARVALIS
Figure 3 : Densité de tiges à plus de 3 feuilles au stade épi 1 cm en fonction de la densité d’épis/m² sur blé tendre - Essais ARVALIS

Finalement, la densité d’épis (première des trois composantes majeures du rendement) est dans la moyenne pluriannuelle. C’est le cas notamment sur le site de Ploërmel, où les 40 variétés en essai affichent une densité d’épis moyenne de 506 épis/m², contre 505 épis/m² en historique. 

Chevignon et KWS Extase (variétés témoins dans nos essais) sont néanmoins en léger retrait par rapport à la moyenne : respectivement 439 et 468 épis/m².

Bien qu’ayant une densité d’épis moyenne, les blés 2023 ont produit beaucoup de grains par épi, amenant une très bonne fertilité d’épis (deuxième des 3 composantes majeures du rendement). Sur le site de Ploërmel (figure 4), les variétés de l’essai, pour une densité d’épis donnée, ont produit plus de grains par épi que la moyenne : 88 % des variétés ont une fertilité grain/m² supérieure à la moyenne historique.

On remarque à ce moment du cycle que Chevignon et KWS Extase ont des comportements très distincts. Chevignon, malgré une densité d’épis plus faible, compense largement par une très bonne fertilité d’épi permettant d’atteindre 25 000 grains/m². Au contraire, KWS Extase est pénalisé par sa fertilité d’épi atteignant difficilement les 20 000 gr/m².

Figure 4 : Densité d’épis/m² en fonction du nombre de grain/épi sur blé tendre - Essais ARVALIS
 Figure 4 : Densité d’épis/m² en fonction du nombre de grain/épi sur blé tendre - Essais ARVALIS

Une arrivée fracassante du piétin échaudage 

La rouille jaune reste discrète tout au long de la montaison, hormis sur quelques parcelles en bordure maritime nord semées avec des variétés sensibles. La pression septoriose cette année a été moyenne, avec des variabilités importantes, mais a été plus forte que les dernières années. L’arrêt des pluies à partir de mi-mai quelques jours avant l’arrivée de la floraison a été bénéfique pour réduire fortement le risque de fusarioses sur épi. 

Le fait marquant de l’année est la présence de nombreuses maladies du pied, piétin verse, piétin échaudage et rhizoctone. 

Le piétin échaudage a été le fait marquant de cette fin de cycle sur la pression maladie. En effet, la maladie est restée discrète au cours de la montaison. Les plantes avec des racines affectées ont pu bénéficier de pluies régulières et d’azote bien valorisé pour alimenter en continu les racines saines. Néanmoins au moment de l’arrêt des pluies mi-mai et de l’assèchement rapide du sol, les racines parasitées par le champignon n’ont pas tenu le coup longtemps avant de provoquer un échaudage de la plante. 

La figure 5 modélise l’état de remplissage en eau du sol en 2023 sur Ploërmel par rapport au pluriannuel. Malgré un bon remplissage du réservoir utilisable des sols proche de la capacité au champ jusque début mai, l’arrêt des pluies mi-mai couplé à de fortes températures et des vents d’Est ont asséché le sol en surface rapidement, les systèmes racinaires parasités par le piétin échaudage n’ont pas pu solliciter les racines plus profondes pour compenser les besoins de la plante.

Figure 5 : Bilan hydrique – Station de Ploërmel (56)
Figure 5 : Bilan hydrique – Station de Ploërmel (56)

Source : Données Météo France /ARVALIS

Azote : de très bonnes valorisations à floraison

La très bonne valorisation des apports d’azote couplée à des biomasses normales ont permis d’obtenir des statuts azotés corrects au moment de la floraison pour des stratégies de fertilisation azotée classique avec un dernier apport à dernière feuille. Sur Ploërmel, les mesures sur l’essai physiologie donne un INN (Indice de Nutrition Azoté) de 0,93 pour Chevignon et 0,99 pour LG Audace, toutes deux supérieures à la moyenne historique de 0,85 (figure 6).

Figure 6 : Statut azoté non limitant tout au long du cycle pour les variétés Chevignon et Lg Audace -Essais ARVALIS
Figure 6 : Statut azoté non limitant tout au long du cycle pour les variétés Chevignon et Lg Audace -Essais ARVALIS

Une fin de cycle dans le sec et la chaleur

La période de remplissage est marquée par une absence de pluie entre la mi-mai et la mi-juin, accompagnée par un fort vent d’Est et un nombre très excédentaire de jours avec des températures maximales supérieures à 25°C. On enregistre plus de 20 jours avec des températures supérieures à 25°C sur l’Est de la région.

Carte 5 : Nombre de jours avec des T°C > à 25°C entre le stade floraison et grain pâteux (Chevignon semé au 25 octobre)
Nombre de jours avec des T°C > à 25°C entre le stade floraison et grain pâteux (Chevignon semé au 25 octobre)

Source : ARVALIS / Météo France 

La fin de cycle stressantes pour les cultures a mis en évidence des comportements variétaux différents sur l’essai de Ploërmel. 67 % des variétés ont un remplissage inférieur (PMG) à la moyenne pluriannuelle. Néanmoins, il faut nuancer avec la très bonne fertilité initiale (nb grains/m²). La figure 7 met en évidence, pour une fertilité donnée (nb gr/m²), un remplissage correct (points bleus au-dessus de la courbe historique) ou en difficulté (points bleus sous la courbe historique).

On remarque que Chevignon et KWS Extase ont encore une fois un comportement différent. Malgré une moindre fertilité, KWS Extase compense en partie par un remplissage correct, amenant un rendement à 98,2 q/ha contre 105,6 q/ha pour la moyenne de l’essai. En revanche Chevignon déçoit par une chute du remplissage (bien en dessous de la courbe de tendance) malgré sa bonne fertilité d’épi conduisant à un rendement de 93 q/ha.

Figure 7 : Nombre de grains/m² en fonction du PMG à 15 % d’humidité à la récolte - Essais ARVALIS
Figure 7 : Nombre de grains/m² en fonction du PMG à 15% d’humidité à la récolte - Essais ARVALIS

De manière plus précise, un essai physiologie sur Ploërmel permet de suivre le remplissage du grain pour deux variétés depuis épiaison : Chevignon et LG Audace. 

On constate un mauvais remplissage de la part de Chevignon dès le début du remplissage (autour de 700°C après épiaison) qui s’est confirmé lors des mesures suivantes avec un remplissage proche des minimales historiques (800°C après épiaison) (figure 8). De son côté, LG Audace maintient un remplissage correct avec une fertilité d’épis également correcte. 

Figure 8 : Cinétique de remplissage des grains (PMG) - Essais ARVALIS
Figure 8 : Cinétique de remplissage des grains (PMG) - Essais ARVALIS

Ce défaut de remplissage est probablement lié aux conditions de fin de cycle pénalisantes : stress hydrique brutal, forts ETP, nombre de jours avec des températures > à 25°C très importants combinés à de nombreuses attaques de maladies du pied (piétin verse, piétin échaudage…) qui affectent l’alimentation de la plante et donc le remplissage des grains en fin de cycle.

Malgré des états de nutrition azotés à floraison corrects et des rendements dans la moyenne voire corrects, on constate une variabilité des teneurs en protéines dans la région, notamment une teneur en protéine plus faible que d’habitude dans certains secteurs. Dans certains cas, cela peut s’expliquer par des pratiques de fertilisation azotée, avec des premiers apports d’azote réalisés tôt en début de campagne et l’absence d’apport au stade Dernière feuille - Epiaison pénalisent la teneur en protéines des blés. Cependant, les résultats sur nos essais à Ploërmel montrent une teneur en protéine moyenne de 10,1 % cette année, contre 10,9 % en moyenne pluriannuelle. A noter qu’aucune variété, malgré des rendements parfois plus faibles, n’arrive à concentrer la protéine et dépasser les 11 % malgré une stratégie de fertilisation classique avec un pilotage du dernier apport. 

Le suivi de remplissage, d’absorption et d’allocation de l’azote dans la plante donne quelques pistes d’explication. La figure 9 donne le suivi d’absorption d’azote par les parties aériennes (tiges, feuilles, grain) tout au long du cycle. On constate une absorption d’azote supérieure à la moyenne notamment à floraison. L’absorption d’azote post floraison est plus réduite (autour de 20 U, contre 38 U en moyenne). 

Figure 9 : Quantité d’azote absorbée en kg/ha à différents stades sur blé tendre - Essais ARVALIS
Figure 9 : Quantité d’azote absorbée en kg/ha à différents stades sur blé tendre - Essais ARVALIS

Les analyses d’azote dans les pailles et dans les grains à la récolte indiquent une remobilisation de l’azote vers le grain inférieure à la moyenne. L’indicateur NHI (Nitrogen Harvest Index) est à 0,68 et 0,69 pour Chevignon et LG Audace, contre 0,74 en moyenne. En comparant LG Audace à 109 q/ha – 11 % de protéines et Chevignon 96 q/ha - 10,6 % de protéines, l’absorption post floraison et la remobilisation de l’azote sont similaires entre les deux variétés et inférieures à la moyenne historique. La principale différence réside dans une absorption d’azote à floraison supérieure de 35 U pour LG Audace, qui lui a permis de maintenir une teneur en protéines correcte.

Des rendements dans la moyenne avec une qualité en berne

Les récoltes se sont déroulées sur deux périodes, elles ont débuté mi-juillet à l’est de la région puis ont été interrompues par les pluies de fin juillet début août pour se terminer dans les secteurs les plus tardifs vers le 20 août. Les rendements en orge d’hiver sont bons, voire très bons, les rendements en blé tendre sont dans la moyenne quinquennale. 

Pour la première période des récoltes, les PS répondent à la norme commerciale. Pour toutes les récoltes réalisées mi-août, les PS ont été fortement dégradés (autour de 70-73), et des débuts de germination sur pied ont pu être observés du fait de la faible dormance des grains liés aux à-coups climatiques. Également des cas d’égrainage avec des grains tombés par terre pouvant impacter le rendement lié probablement à une sur maturité avec une certaine sensibilité variétale. Ce type de phénomène reste exceptionnel. 

Par ailleurs, il est important de rappeler qu’il n’existe aucun lien entre la dégradation du PS et les pertes de rendement. 

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