Quelle place pour l’agroécologie dans les systèmes agroalimentaires ?
ARVALIS a inscrit l’agroécologie dans son projet d’entreprise 2025. Pourquoi ce choix ? Quelle en est l’ambition ? Qu’est-ce qu’une agroécologie forte ? Pascaline Pierson et Régis Hélias, chargés de poser les bases de ce développement chez Arvalis, répondent aux questions de Benoît Moureaux, rédacteur en chef de la revue Perspectives agricoles.
Perspectives Agricoles : Qu’entend-on par « agroécologie » ?
Régis Hélias : Le terme d’agroécologie est communément employé pour désigner un modèle agricole qui privilégie les interactions biologiques. Il vise une utilisation optimale des possibilités offertes par les agrosystèmes. C’est aussi un mode de production collectivement reconnu pour faire face à des contraintes et à des demandes multiples : changement climatique, réglementations environnementales, volatilité des prix, impératifs agronomiques et demandes sociétales. La transition de l'agriculture vers un mode de production agroécologique semble irréversible; elle repose sur une tendance lourde, au moins à l’échelle européenne.
Cette transition passe par une reconception en profondeur des systèmes, en se projetant dans l’avenir. Elle favorise les interactions vertueuses entre les productions, ainsi qu’avec d’autres secteurs d’activité.
P.A. : Comment envisager la mise en œuvre de ce modèle ?
Pascaline Pierson : L’agroécologie n’est pas perçue comme un objectif mais comme un moyen de faire reconnaître le rôle de l’agriculture et de ses valeurs au sein d’un territoire, tout en développant la rentabilité des exploitations. Déterminée par un contexte pédoclimatique et un tissu économique, l’échelle territoriale - d’une zone de collecte d’un transformateur à une Région, voire au-delà - est la plus appropriée pour mobiliser les différents acteurs. Il s’agit ainsi de coconcevoir des filières agroalimentaires englobant des systèmes de culture, différents ateliers de production au sein des exploitations, jusqu’à un ensemble de productions et de marchés créant de la valeur pour un territoire. Celui-ci s’envisage comme un espace de projet dans lequel l’agriculture y est présente sous forme d’une mosaïque de systèmes de culture. Cette diversité est une force pour la mise en œuvre des leviers agroécologiques et l’accès à de nouvelles ressources : matériels, main d’œuvre et compétences pour piloter ces systèmes plus complexes.
P.A. : Les agriculteurs vont-ils s’y retrouver dans cette démarche ?
R.H. : L'agroécologie fait aussi l'objet de demandes croissantes de la part des producteurs, dans la volonté de tendre vers une moindre dépendance aux intrants de synthèse et de retrouver la confiance des citoyens, à condition que les solutions proposées soient durables et rentables. L’agroécologie apporte une méthode et des techniques pour répondre aux problèmes constatés sur le terrain : impasses agronomiques, rentabilité, charge de travail, adaptation à un ou plusieurs marchés. Il n’y a pas de voie unique. L’enjeu est de rendre viable le travail sur les exploitations dans un environnement plus complexe. Par exemple, hormis le cas de la vente directe, la diversification des productions s’envisage à l’échelle d’un plus ou moins grand nombre d’exploitations. D’un autre côté, il faut aussi pouvoir se spécialiser pour gagner en efficacité. Un des moyens pour y parvenir est de favoriser les synergies entre les différentes productions : grandes cultures, élevages, filières alimentaires locales ou encore de production d’énergies. Ce type de projet implique une gouvernance multi-acteurs associant entre autres des communautés de communes, des agglomérations ou des Régions. Ainsi, les agriculteurs ne vont plus se battre seuls pour faire valoir leurs productions, cela devient un projet de territoire, qui reconnaitra un ensemble de services rendus aux consommateurs et aux citoyens.
P.A. : Qu’est-ce que cela suppose comme évolution ?
P.P. : Mettre en œuvre les leviers de l’agroécologie, comme la protection intégrée des cultures, la localisation des intrants, la gestion des couverts, l’agriculture de précision, indépendamment les uns des autres ou de manière dispersée, n’est pas suffisant. On parle alors d’agroécologie « faible ». Une agroécologie « forte » intègre, bien sûr, toutes ces pratiques mais reconsidère l’ensemble du système de production et ses interactions au sein d’un territoire, pour mobiliser un maximum de leviers et répartir la charge de travail. C’est l’idée, par exemple, d’encourager les échanges de « bons procédés » entre éleveurs et céréaliers : intégrer des prairies dans les rotations céréalières, développer les échanges paille-fumier, partager des chantiers de semis ou de récolte, etc. Aujourd’hui, l’approche purement comptable ne valorise pas ces interactions. Il faut créer de nouveaux outils de mesure et de suivi pour tenir compte des services indirects et des effets systèmes sur l’ensemble d’un territoire. L’objectif est de maintenir un niveau de production pour aller vers une reconnaissance des services apportés.
Gérée à une échelle territoriale, sur la base d’indicateurs partagés, la richesse créée pourra être plus aisément répartie entre tous les acteurs.
P.A. : Pourquoi ARVALIS s’engage dans ce type de projets ?
P.P. : Notre institut ambitionne de mettre à profit son expertise pour constituer de nouveaux repères techniques et économiques destinés aux producteurs et aux acteurs régionaux, avec l’agroécologie comme cadre de référence. Il s’agit d’impulser une dynamique collective et de créer les connaissances dont on va avoir besoin. Au sein de chaque projet territorial, ARVALIS pourra accompagner les acteurs de terrain par la mise à disposition de références techniques et d’un large panel d’indicateurs des services rendus. Il faut pouvoir mesurer les effets de la combinaison des leviers mis en œuvre, au travers d’indicateurs agronomiques, environnementaux et économiques - de l’exploitation agricole à l’ensemble du territoire. L’objectif est de chiffrer les performances obtenues, en particulier afin de communiquer sur ces projets locaux auprès d’un large public.