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L’agriculture, un stockant net de carbone ? « Tout dépend des feuilles de route de décarbonation des filières »

Les simulations de la méthode Label Bas carbone Grandes cultures (LBC-GC) réalisées par ARVALIS sur neuf fermes-types identifient des leviers pour permettre aux agriculteurs de générer des crédits carbone. Dans l’attente de précisions sur les feuilles de route de décarbonation des filières, difficile toutefois de savoir s’ils en auront réellement la capacité. Décryptage avec Stéphane Jézéquel, directeur scientifique d’ARVALIS.    

S. Jézéquel

Justine Gravé : L’institut a contribué à élaborer la méthode LBC-GC, approuvée en 2021 par les pouvoirs publics. Quelle est l’étape suivante ?

Stéphane Jézéquel
 : L’étape suivante est d’évaluer le potentiel des fermes de grandes cultures à générer des crédits carbone. Ce que nous avons fait au travers de simulations d’itinéraires techniques de neuf fermes-types françaises. Il en ressort une marge de progrès certaine. J’ajoute par ailleurs que les fermes-types que nous avons utilisées ne sont pas représentatives de la moyenne française. Elles ont déjà dans leur itinéraire technique de référence quelques « bonnes pratiques », type rotation de cultures ou couverts végétaux sur une partie de la SAU. Ainsi, nos travaux sous-estiment peut-être les possibilités d’améliorations du bilan carbone des fermes françaises, et le nombre de crédits carbone qu’il est possible de générer.

Lire aussi : « Comment améliorer le bilan carbone des systèmes maïsicoles du Sud-Ouest ? »


J. G. : Quels sont les leviers les plus efficaces pour générer des crédits carbone ?

S. J.
 : Le plus évident est la couverture permanente des sols, avec des couverts végétaux en interculture, de sorte à avoir de la photosynthèse et produire de la biomasse toute l’année. Ces derniers peuvent, par exemple, être valorisés par méthanisation. Une rotation très diversifiée avec davantage de légumineuses est aussi un facteur clé. L’utilisation de produits résiduaires organiques permet d’augmenter graduellement le stock de carbone du sol par rapport à une conduite « fertilisation minérale » stricte. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont aussi réduites par le recours à des formes d’azote et des modalités d’apport moins soumises à la volatilisation, et le raisonnement au plus juste des quantités d’azote minéral épandues. À l’avenir, le levier génétique pour optimiser la photosynthèse en conditions difficiles (sécheresse, chaleur…) sera probablement amené à devenir un critère important de sélection variétale, et pourra aussi améliorer le bilan carbone, notamment via l’amélioration de l’efficience de l’azote.

J. G. : Ces simulations montrent-elles que l’agriculture a la capacité de devenir un secteur stockant net de carbone, tel que prévu dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone ?

S. J
: À plusieurs reprises, nous avons observé que l’augmentation du stockage de carbone peut être contradictoire avec la réduction des émissions de GES. En effet, il faut plus d’azote pour produire davantage de biomasse. Il est nécessaire et possible que l’agriculture passe de secteur émetteur net à stockant net. Mais c’est un sacré défi car les leviers cités plus haut améliorent le bilan carbone - à un coût pour l’agriculteur qui excède souvent la valeur des crédits générés - mais ne permettent pas encore d’atteindre cet objectif de « stockant net carbone ».

L’augmentation du stockage de carbone peut être contradictoire avec la réduction des émissions de GES.

Cela va également dépendre des feuilles de route de décarbonation des filières agro-alimentaires et industrielles, sur lesquelles nous avons encore assez peu d’éléments.


J. G. : Qu’entendez-vous par « cela va dépendre des feuilles de route de décarbonation des filières » ?  

S. J. :
Selon les choix qui seront faits, on peut réduire les émissions de GES d’un maillon de la filière, mais, en contrepartie, augmenter celles d’un autre maillon. Par exemple, certaines filières industrielles, comme l’énergie ou la construction, ont besoin de plus de biomasse agricole pour améliorer leur bilan carbone. D’après les premières estimations, il faudrait leur fournir près de 30 millions de tonnes de biomasse par an, soit l’équivalent de la récolte annuelle de blé tendre française. C’est énorme ! Or, si l’agriculture augmente sa production, ses émissions vont, en toute logique, augmenter. Il est donc impératif d’avoir ces discussions en filière et de disposer de comptabilités carbone transparentes d’un maillon à l’autre, qui prennent bien en compte le bilan global stockage – émissions et pas uniquement les émissions. Au-delà du stockage dans le sol, Il reste encore beaucoup de travail pour valoriser les atouts de l’agriculture comme pompe à carbone naturelle via la photosynthèse.

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