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Céréales à paille - Excès d’eau : des conséquences dépendantes de trois critères

Les pluies ininterrompues depuis cinq jours dans certaines régions (en particulier en Ile-de-France et Centre – Val de Loire) provoquent des excès d’eau dans de nombreuses situations, voire des inondations. Quelles conséquences sur les céréales à paille ?

Inondations : quelles conséquences pour les céréales à paille ?

Les cumuls de pluies enregistrés depuis une semaine atteignent 140 mm dans le centre du pays, et plus ponctuellement dans les Pays de la Loire. Dans le Centre et l’Est, ces pluies interviennent sur des sols déjà bien pourvus en eau, ce qui explique en partie la rapidité des inondations. Normalement, les conditions météorologiques devraient s’arranger, et les pluies complémentaires rester très modestes par rapport aux épisodes passés (figure 1).

Figure 1 : Cumul de pluie en mm du 28/06/2016 au 31/05/2016 (données réelles) (gauche), et du 01/06/2016 au 05/06/2016 (prévisions) (droite)

Données : MétéoFrance - ARVALIS - INRA

Les conséquences d’un excès de pluie et d’eau sur des cultures de céréales à paille sont nombreuses, tant sur le plan physiologique (anoxie), que pathologique (maladies) ou mécanique (verse). Nous ne nous intéressons ici qu’aux cas les plus extrêmes d’excès d’eau : l’inondation des parcelles voire la submersion des cultures, et les conséquences sur le schéma d’élaboration du rendement des céréales à paille.

Des conséquences fonction de trois critères pour les parcelles inondées

Il est important de bien comprendre qu’un excès d’eau fait rentrer la culture en anoxie (défaut d’oxygène) et bloque donc son métabolisme. Lorsqu’une petite partie de la plante (racines notamment) est concernée, cela bloque la croissance le temps de l’accident ; c’est ce qui se passe le plus souvent en hiver, à un stade peu sensible, et avec des températures fraîches.

Ce qui arrive cette année est exceptionnel, et assez rare pour avoir beaucoup de mal à accumuler des suivis précis et fiables qui nous permettent d’apprendre de ces accidents.

Les conséquences d’une inondation des parcelles vont dépendre de trois critères :

  • Le stade de la culture.
  • Le niveau et la durée d’immersion. 
  • Les conditions de drainage de la parcelle.

1. Le stade de la culture

Il y a une période de sensibilité maximale à la floraison et au début du remplissage. Cela s’explique par le risque de défaut de fécondation ou celui d’avortement précoce. Au moment précis de la fécondation (1 à 3 jours avant la floraison), et dans les quelques jours qui suivent, les grains en tout début de formation ont besoin d’être alimentés par la plante. En cas d’excès d’eau (immersion ou simple excès d’eau), la plante réduit voire arrête son métabolisme, et ne peut donc pas alimenter les grains en cours d’initiation. Par ailleurs, des synthèses d’hormone (acide abscissique) peuvent pénaliser la fécondation des ovules. Cette situation concerne donc essentiellement les blés de la zone Nord. On peut donc s’attendre à 30 à 100 % de perte de rendement selon les cas.

Pour des stades plus tardifs (remplissage déjà avancé, grain laiteux), les grains sont mis en place, leur croissance va juste être « mise en pause » quelques jours. Si la plante repart (sous-entendu que l’immersion n’est pas trop longue pour être létale), elle devrait pouvoir remobiliser une partie de ces réserves pour accompagner un complément de croissance des grains. Il s’agit donc en priorité d’orges d’hiver pour lesquels la perte de rendement pourraient aller de 20 à 60 %.

Pour les stades plus précoces (courant montaison), les risques sont moindres, et les possibilités de rattrapage plus nombreuses. Cela concerne les orges de printemps. Pour les céréales qui atteignent méiose à épiaison (orges de printemps précoces ou blés très tardifs), le risque est accru car on risque de pénaliser la fertilité du pollen, ou d’abaisser le nombre de fleurs fertiles.

2. Le niveau et la durée d’immersion

Une immersion totale engendre trois problèmes : l’incapacité totale de transpirer , de respirer pour la totalité des tissus, et la possible altération des pièces florales. Il s’agit donc du cas de figure le plus pénalisant. Une immersion de courte durée (24 h) peut sans doute ne pas anéantir la culture ; par contre, pour une durée supérieure à 3-4 jours, il y a fort à craindre que toutes les plantes périssent, ou qu’a minima la fertilité des épis soit très fortement affectée.

Une immersion partielle (à mi-hauteur, qui ne recouvre pas les épis) va plus provoquer un arrêt de croissance de la plante, qui pourra repartir si l’eau n’est pas restée trop longtemps. Néanmoins, pour des cultures autour de la floraison, où la composante fertilité des épis se finalise et le PMG s’initie, un arrêt de croissance de plusieurs jours peut pénaliser de manière irrémédiable et très importante le rendement.

3. Les conditions de drainage de la parcelle

Une fois l’épisode d’inondation passé, les conditions de drainage de la parcelle, et de reprise de la végétation seront primordiales. Il y a deux situations à craindre :

  • Le maintien de l’hydromorphie au niveau du sol (surtout valable pour les cuvettes et mouillères) : si les racines trempent, elles ne pourront pas redevenir opérationnelles assez vite pour permettre la reprise de la croissance de la culture.
  • Un retour rapide et brutal d’un temps chaud et ensoleillé : avec un tel scénario, la demande évaporative des parties aériennes ne pourrait pas être satisfaite par des racines encore en situation d’anoxie, et cela pourrait provoquer une forme d’échaudage. L’idéal serait d’avoir une période de 2-4 jours de transition pour permettre à une partie des excès d’eau de s’évacuer.

Une conséquence indirecte de cette hydromorphie exceptionnelle peut aussi être une aggravation du risque de verse, soit parce que le courant d’eau a poussé les plantes, soit parce que le sol perd sa cohésion et l’ancrage racinaire fait défaut.

Quelles actions prendre ?

Evidemment, pour la culture en place, il n’y a pas d’intervention possible et raisonnable, et de toute façon, les conditions ne rendent pas les parcelles praticables. Par contre, il peut se poser la question de retournement de culture pour tenter une culture d’été en remplacement. Le diagnostic et la décision doivent donc se faire sur l’observation de la présence et de la croissance des grains (possible une semaine après la floraison). Si les grains sont absents, le remplacement par une autre culture est envisageable, dès que les conditions le permettent. Si des grains sont présents et continuent de croître, il est sans doute préférable de laisser la culture aller à son terme et récolter ce qu’il restera. Certains producteurs pourraient se poser la question de faucher ou d’ensiler leurs céréales touchées, pour en faire un fourrage. La décision devra être prise au cas par cas, mais plusieurs éléments importants doivent être soulignés :

  • La valeur énergétique des céréales immatures est maximale au stade grain laiteux-pâteux. En moitié nord de la France, ce stade n’est pas forcément atteint en orges d’hiver, et évidemment pas atteint en blé. La valeur fourragère serait donc limitée, sans doute plus proche d’une bonne paille que d’un bon foin.
  • La contamination des plantes par des particules de terre (cas de la sortie d’une rivière de son lit, ou lors de la fauche dans de mauvaises conditions) risque d’engendrer de problèmes importants de conservation comme fourrage (ensilage, enrubannage).
  • La question du délai d’attente de ces cultures à des fins fourragères suite aux derniers traitements phytosanitaires peut également poser des complications.

Compte-tenu de la bonne disponibilité générale en fourrage pour le moment, l’exploitation d’une parcelle dégradée par les inondations n’est sans doute pas la meilleure option.

Et pour les parcelles non inondées ?

Les conditions climatiques extrêmes de ces derniers jours sur le centre de la France sont évidemment négatives par rapport à un potentiel de départ très flatteur. Dans toutes les situations, le défaut de rayonnement au moment précis de la floraison peut avoir un impact négatif sur la fécondation des fleurs et la mise en place des grains. Ceci avait déjà été observé en 2008 dans l’est de la France : la composante « fertilité épi » était touchée. Plus généralement, autour de la floraison, une culture de blé tendre doit croître d’environ 250-300 kg MS/ha ; les rayonnements reçus lundi, mardi et mercredi en Ile-de-France ne permettaient pas d’atteindre 100 kg MS/ha/j : la croissance est ralentie, par le seul effet rayonnement.

Dans de nombreuses situations où les cumuls de pluie ont dépassé 50-60 mm, les sols auront été engorgés en eau pendant plusieurs jours ; cela engendre une anoxie temporaire des racines, en plus des faibles rayonnements. La floraison est encore une fois le moment le plus critique ; si la culture n’a pas encore atteint ou (mieux) a dépassé le stade, le niveau de sensibilité est moindre. Néanmoins, on peut se remémorer 2007, avec des excès d’eau courant remplissage, qui ont altéré le fonctionnement de la culture et le rendement final.

Evidemment, les cumuls de pluie engendrent des risques importants de fusariose des épis (il restera à voir quelle souche de champignon se développera préférentiellement), et justifient des traitements… si les pulvérisateurs peuvent rentrer (et surtout ressortir !) des champs.

La verse est également possible, soit par déchaussement des plantes, soit par défaut de résistance de la tige. Il s’agit alors d’une verse très précoce (dès floraison ou début de remplissage), qui pénalise le plus fortement le PMG et donc le rendement.

Figure 2 : Pénalité de la verse d’un blé tendre en fonction du stade d’apparition de la verse et de son intensité

Note réalisée avec l’appui des équipes régionales d’ARVALIS

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